Paul Guillon - Images et poésie - Anthologie personnelle - Yves Bonnefoy
ANTHOLOGIE

Yves Bonnefoy

 

Extraits :

Impression, soleil couchant

 

Le peintre qu’on nomme l’orage a bien travaillé, ce soir,
Des figures de grande beauté sont assemblées
Sous un porche à gauche du ciel, là où se perdent
Ces marches phosphorescentes dans la mer.
Et il y a de l’agitation dans cette foule,
C’est comme si un dieu avait paru,
Visage d’or parmi nombre d’autres sombres.

Mais ces cris de surprise, presque ces chants,
Ces musiques de fifres et ces rires
Ne nous viennent pas de ces êtres mais de leur forme.
Les bras qui s’ouvrent se rompent, se multiplient,
Les gestes se dilatent, se diluent,
Sans cesse la couleur devient une autre couleur
Et autre chose que la couleur, ainsi des îles,
Des bribes de grandes orgues dans la nuée.
Si c’est là la résurrection des morts, celle-ci ressemble
A la crête des vagues à l’instant où elles se brisent,
Et maintenant le ciel est presque vide,
Rien qu’une masse rouge qui se déplace
Vers un drap d’oiseaux noirs, au nord, piaillant, la nuit.

Ici ou là
Une flaque encore, trouée
Par un brandon de la beauté en cendres.

 

© La Vie errante, 1993.

 

Le feuillage éclairé

 

Dis-tu qu’il se tenait sur l’autre rive,
Dis-tu qu’il te guettait à la fin du jour ?

L’oiseau dans l’arbre de silence avait saisi
De son chant vaste et simple et avide nos cœurs,
Il conduisait
Toutes voix dans la nuit où les voix se perdent
Avec leurs mots réels,
Avec le mouvement des mots dans le feuillage
Pour appeler encor, pour aimer vainement
Tout ce qui est perdu,
Le haut vaisseau chargé de nos douleurs entraînait
toute ironie loin de notre rivage,
Il était l’ange de quitter la terre d’âtres et de lampes
Et de céder au goût d’écume de la nuit.

 

© Hier régnant désert, 1958.

 

 

Le jardin était d’orangers, l’ombre bleue, des oiseaux pépiaient dans les branches. [...] Qu’est-ce que la couleur se demanda celui qui venait de pousser la petite porte basse, dont le bois s’effritait, s’en allait par plaques après tant d’années, tant de pluies. Peut-être est-elle le signe que Dieu nous fait à travers le monde, parce que de ce vert à ce bleu ou à cet ocre un peu rouge c’est en somme comme une phrase mais qui n’a pas de sens, et qui donc se tait, comme lui ? [...]

 

© La Vie errante, 1993.

 

Biographie : Yves Bonnefoy est né à Tours en 1923 et mort à Paris en 2016. Poète, professeur au Collège de France de 1981 à 1993, traducteur de l’italien et de l’anglais, notamment de Shakespeare, il fut aussi un très grand critique d’art.
Son combat contre une poésie ésotérique et coupée du réel et son refus du concept l’ont pourtant parfois conduit à produire l’inverse de ce qu’il entendait mettre en œuvre : une poésie néo gnostique où le réel semble se perdre au profit des mots seuls. Mais c’est dans cette lutte imparfaite pour rejoindre le monde tel qu’il se donne qu’il a produit parmi les plus beaux vers de la poésie française.

 

Bibliographie poétique simplifiée :
- Poèmes (1947-1975), coll. Poésie/Gallimard, 1982 qui reprend Du mouvement et de l’immobilité de Douve, 1953, Hier régnant désert, 1958, Pierre écrite, 1965, Dans le leurre du seuil, 1975 (tous publiés au Mercure de France).
- Ce qui fut sans lumière, suivi de Début et fin de la neige, Poésie/Gallimard en 1995.
- La Vie errante, suivi de Une autre époque de l’écriture, Mercure de France 1993 (coll. Poésie/Gallimard 1997).
- Les Planches courbes, Mercure de France, 2001 (coll. Poésie/Gallimard 2003).

 

Liens : - Yves Bonnefoy sur le site d'actualité culturelle "evene.fr".
- Pages sur Yves Bonnefoy dans le site de la communauté d'information et publication "Toute la poésie".

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