André Schmitz

La Tondeuse

Comme on saute d’un train lentement en marche
je glisse hors de moi.
Je dis adieu au wagon, à ses lits déjà dépliés,
à sa lecture des paysages.
Je choisis les champs vidés de leurs moissons,
cherche l’auberge
où des femmes figées attendent la venue des infirmes.
Je récite les premiers vers
d’un poème n’ayant rien à voir avec celui-ci.
Je déclare que je refuse
de mourir alors qu’un marché honorable m’est
proposé dans ce sens.
Je prie les serveuses et les servantes, les infirmières
et les soeurs de charité
de se tenir à distance, leur générosité m’étant suspecte.
À des enfants qui tiennent
des nuages comme des ballons au bout d’une corde
je demande pardon
comme si j’avais péché contre leur innocence.
Dévoyé, me voici d’un voyage
dévié où l’on n’arrive jamais à rien
ni à personne.
Tandis que le train fou de n’être plus habité
brûle les consignes
et s’enfonce dans l’au-delà comme il n’est pas permis.

© Les Prodiges ordinaires,
L'Âge d'Homme, 1991.